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romaric sangars - Page 4

  • La vie sous vide...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré à l'hygiénisme puritain qui s'est abattu sur la société. Romaric Sangars anime avec Olivier Maulin le Cercle Cosaque.

     

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    La vie sous vide

    Le génial et sphérique Chesterton exposait déjà parfaitement, il y a plus d’un siècle, comment l’hygiénisme est au fond une morale de malade, de grabataire, puisque l’obsession de préserver sa santé n’intéresse que celui qui l’a fragile, l’homme sain, au contraire, s’occupant surtout de savoir où jeter sa force. Or comment ne pas remarquer que le Nouvel Ordre Moral est tout entier un hygiénisme appliqué à toutes les sphères de l’existence ? Préserver absolument la santé physique de la population en l’empêchant de boire, de conduire ou de fumer ; préserver toujours les délicates sensibilités des cohortes victimaires : à tous les degrés, nous vivons dans une atmosphère désinfectée. Comme à l’hôpital et à la morgue.
    L’homme moderne, qui a une mentalité de vieillard atteint d’Alzheimer, oublie toujours les premières des évidences : il s’imagine avoir renversé des interdits sans voir qu’il n’a fait, comme ses ancêtres avant lui, que les déplacer en fonction de son nouveau sens du sacré. Son sacré, c’est la marchandise, y conformant ses mœurs, il promeut l’échange maximal des corps sur un mode contractuel et hygiénique. Selon ces nouvelles données, on a enjoint à ma génération, non pas de ne pas baiser hors mariage, mais de ne pas baiser hors capote. « Sortez couverts ! » ânonnaient benoîtement, avec un sourire complice égrillard, les G.O. du Nouvel Ordre Moral, dès que nous eûmes atteint l’âge de foutre. Cette antienne m’écœure encore. Dire qu’on a osé seriner une telle phrase à des jeunes gens dont les lointains ancêtres défiaient nus les légions romaines… Si le mot était autorisé, j’oserais dire qu’on mesure à ça le déclin d’une race. Mais il ne l’est pas.
    L’« amour sans risque », le « safe sex » – autant salir la langue anglaise puisque le puritanisme est l’une des tares qu’elle a divulguées – voici l’idéal visé. On dirait un oxymore. Comme si l’amour n’était pas précisément le risque majeur qu’un individu est sommé de courir pour donner quelque prix à son existence. Qu’on s’entende, je n’encourage nullement l’irresponsabilité ou la propagation concertée du SIDA. Je note simplement qu’en ayant extrait du sexe sa faculté à donner la mort ou la vie, on en a désamorcé la charge. Je remarque au passage qu’avoir mis sous cellophane la puissance phallique ne peut pas demeurer sans conséquences symboliques graves. Je m’insurge contre le fait que, formellement, on ait encouragé une jeunesse, non pas à prendre des risques dignes de sa grandeur possible, mais à n’en prendre aucun comme si tout était déjà joué sans elle, et au prétexte de régenter sa vie amoureuse.
    La capote est un symptôme, je n’en nie pas l’utilité, je récuse la morale que cette peau de latex véhicule. Les papes et les barebackers ont ceci en commun qu’ils ont enfreint l’ultime tabou en relativisant la condom solution, c’est-à-dire la solution marchande à la problématique sexuelle. « Nous voulons que le sexe continue à prendre le risque de vie ! », clamaient les premiers, « Nous voulons que le sexe continue à prendre le risque de mort… », murmuraient les seconds. « Ce n’est pas rentable du point de vue de la consommation, c’est dangereux et ce n’est pas contrôlé ! », répliquaient traumatisés, furieux, une torche à la main, les Justes homologués. Mais la capote n’était qu’une fenêtre de tir, il faut analyser la mitraille qu’elle permet de déverser, dérouler jusqu’au bout ce que l’idéologie tente de faire passer par ce biais avec autant de vaseline. Forcer le totem à parler. « Faire mine de vendre du cul pour mieux dégoûter du risque », voilà ce qu’il dit, le totem, voilà ce qu’il a dans le réservoir. Or qui supprime le risque, supprime la responsabilité, c’est-à-dire la liberté souveraine. Et l’on se retrouve avec une morale d’esclave certifiée aux normes.
    Un athlète qui ne boit pas ce soir parce que demain il doit vaincre, cultive sa force en vue d’un acte précis. Un avorton post-moderne, lui, ne préserve sa santé qu’en tant que capital, pour elle-même, pour sa jouissance et son confort d’être atrophié, il aménage au mieux sa cellule. Et cette mentalité timorée, avaricieuse, frigide, elle ne se contente pas d’attaquer les individus, elle avorte également le débat public. Le cache que l’ancienne morale plaçait sur la question sexuelle a été déplacé par la nouvelle sur la question raciale. C’est toujours la hantise des origines, mais qui travaille autrement. Les enfants ne naissent plus dans les choux, ils naissent « citoyens du monde ». Si ça vous amuse… L’ennui, c’est que l’obsession anti-raciste a reconfiguré tout le champ de la parole. À partir des traumas compréhensibles des Noirs ou des Juifs, tout le monde a fini par se sentir stigmatisé pour un oui ou pour un non.
    Morale de névrosés, et encore morale d’esclave. Autrefois on se vantait des prouesses de ses ancêtres, pas de leurs humiliations. Ces dernières, on avait même tendance à vouloir les oublier au plus vite plutôt que d’exhiber partout ses plaies en vue de culpabiliser l’adversaire, ou le simple voisin. Résultat : il devient impossible d’avoir un débat franc et loyal au bal des pleureuses. Tout propos est inconvenant. La moindre apostrophe est obscène. Il est loin le temps où l’on s’injuriait pour le plaisir d’aiguiser la langue, où l’on pousser facilement au duel et où, le bras en écharpe, il arrivait qu’on trinque ensuite avec son adversaire. C’est que la liberté et la responsabilité qu’elle implique, voilà qui entraînait assez naturellement une forme de désinvolture supérieure. L’homme libre a les moyens de se l’autoriser. Seul le zombie se crispe à la première égratignure.
    Il a tort le zombie, parce que de toute manière, il est déjà mort. Et cette morale de la préservation n’est que l’éthique des cadavres, le prophète nazaréen nous avait pourtant prévenu : « Celui qui veut garder sa vie la perdra ! » Mais nous, nous voulons la retrouver cette vie alors, après avoir vomi votre moraline, comme disait Rimbaud : « Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès ! »

    Romaric Sangars (Causeur, 16 juin 2013)

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  • Le goût et la vitesse...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré à la question du goût. Romaric Sangars anime avec Olivier Maulin le Cercle cosaque qui se réunit une fois par mois à Paris.

     

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    Le goût et la vitesse

    Le mois dernier se déroula, paraît-il, la « semaine du goût ». Au delà du fait que ce genre d’éphémérides modernes a quelque chose de ridicule et que celle-ci me semble ignominieusement discriminatoire à l’encontre des quatre sens restants, cet événement exprime néanmoins un fait pertinent : c’est que notre époque finit par réaliser qu’elle a tout affadi. Et pas seulement la saveur des pêches, laquelle n’est qu’un symptôme parmi d’autres, mais des sentiments les plus élevés jusqu’aux sensations les plus simples. Ainsi l’homme contemporain fait-il souvent songer à un patient en post-coma amnésique auquel il faut rapprendre chaque évidence.

    Même si la saveur d’une pêche n’est qu’un détail d’un problème infiniment plus ample, les choses concrètes, aussi triviales soient-elles, sont toujours le signe de réalités profondes. Si nous avons perdu le sens du goût véritable, c’est que nos palais ont d’abord été gavés de merde. Et s’ils ont été gavés de merde, c’est tant pour des raisons de gauche – égalitarisme -, que de droite – capitalisme -, c’est parce qu’on a voulu que tout le monde puisse toujours, à moindre frais et sans effort et au bénéfice de grandes entreprises : bouffer des pêches. Résultat : les pêches n’ont plus de goût.

    Ce sur quoi je veux insister, c’est que l’absolue disponibilité de tout pour tous est un fantasme mortifère, parce qu’on abroge les choses au passage. Derrière chaque organe physique, il y a un organe intérieur, et ce qui donne du goût aux choses, c’est leur sens. Or le sens est une question de trajectoire. Un verbe entre le sujet et l’objet qui permet de former une phrase. La dictature de l’immédiat (induite par la consommation de masse) éliminant tout élan, tout effort et tout lien entre le sujet et l’objet, abolit la substance même de l’objet. Or substance, sens, saveur : c’est tout un. Le sujet nourri de telle sorte finit quant à lui – ne serait-ce que mentalement -, impotent, obèse et vide.

    Ce qui fait sens, c’est l’histoire qu’écrit une rencontre entre le sujet et l’objet. Ce peut-être, par exemple, la rencontre amoureuse, et le succès des « sites de rencontres » préfigure simplement un autre affadissement radical  Ce peut-être, encore une fois, le goût de la pêche. Le sens de ce dernier relève de son territoire d’origine, la personne l’ayant vue mûrir, toute l’atmosphère saisonnière à laquelle elle appartient, le respect du cycle, l’envie véritable et non le caprice indécis du consommateur inondé par un raz-de-marée de propositions.

    « I want it all and I want it now ! », ce refrain débile de Queen est le « Sieg heil ! » sucré de cette dictature de l’immédiat. On notera surtout que l’auteur d’une telle phrase ne sait ni ce qu’il veut précisément (de « tout » à « rien », il n’y a souvent pas grand chose), ni se donner les moyens de l’atteindre et souffrir la patience nécessaire pour cela.

    Remarquez que cette dictature de l’immédiat, cette passion inférieure pour la facilité, est également partagée par nos frères djihadistes, lesquels manifestent souvent le pur revers du monde occidental plutôt qu’un parti fondamentalement opposé. Leur « spiritualité » n’implique pas la belle science des derviches tourneurs ou dix ans de jeûne au désert, non, aller au Paradis est devenu pour eux aussi simple que de prendre un vol intérieur aux States.

    Ce n’est pas pour autant que je donnerai ici dans un quelconque « éloge de la lenteur ». Le goût de la vitesse me paraît infiniment respectable. Le problème ne réside pas dans la rapidité à laquelle s’effectue le parcours, le problème c’est l’abrogation de toute trajectoire.

    En attendant, je demeure partisan du coup de foudre comme de la guerre-éclair.

    Romaric Sangars (Causeur, 17 novembre 2012)

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  • Montherlant aujourd'hui...

    Les éditions de Paris viennent de publier, sous la direction de Christian Dedet, Montherlant aujourd'hui, ouvrage collectif réunissant les signatures de quinze hommes de plume ou de théâtre. Un bel hommage à l'approche du quarantième anniversaire du suicide de l'écrivain "en un jour royal d'équinoxe"... 

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    "Recru de souffrance physique et désespéré par la marche du siècle, Henry de Montherlant, le 21 septembre 1972, se tirait une balle dans la bouche après avoir absorbé - précaution supplémentaire - une ampoule de cyanure. Libre de toute éternité, le stoïcien romain venait de choisir la " sortie raisonnable ". Le courage et la dignité de cette fin - qui n'allait pas sans similitude avec le " seppuku " du Japonais Mishima - furent unanimement salués.
    Pourtant, l'oeuvre immense de l'écrivain allait connaître une désaffection grandissante. Moins le purgatoire inévitable qui suit la disparition d'un géant des lettres que la défiance de nouveaux publics plus portés à la suspicion qu'à admettre les libertés et l'authenticité d'une vie. Il est vrai que Montherlant, de son vivant, ne se priva guère de cultiver l'équivoque et la provocation. Rappelons-nous ces formules frappées comme des médailles : " Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire ", dit le vieux roi Ferrante à son fils, dans La Reine morte.
    Formules peu solubles, on en conviendra, dans le cocktail de compassionnel et de pensée unique qui caractérise notre époque. Au point de faire oublier - syncrétisme et alternance - chez ce pessimiste altier, son " extase de la vie ", sa proximité si délicate des humbles, sa solidarité maintes fois exprimée avec les peuples humiliés. Le visionnaire du Treizième César était-il coupable d'avoir annoncé la venue de temps infâmes et l'ère du Veau d'Or ?"

    Textes de Christian Dedet, Sarah Vajda, Romaric Sangars, Christopher Gérard, Pierre Duroisin, Frédéric Saenen, Philippe de Saint Robert, Michel Mourlet, Bernard Quiriny, Dominique Leverd, Christophe Malavoy, Philippe Alméras, P-V. Guitard, Jean-Luc Jeener,  Henri de Meeûs.


     

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  • Les snipers de la semaine... (42)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Causeur, Romaric Sangars dézingue Stéphane Hessel et son «catéchisme autoritaire post-moderne»...

    Feu sur l'ambulance

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    - sur Confitures de culture, Pierre Jourde rafale les journalistes de télévision et leur capacité à mettre en scène et à commenter l'absence d'information...

    Apothéose du rien

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  • Le « Loup solitaire » comme figure symbolique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré à l'analyse de la figure du tueur de masse solitaire comme symptôme morbide de l'état de nos sociétés...

    Romaric Sangars anime avec Olivier Maulin le Cercle Cosaque.

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    Mohamed Merah, un nouveau type de tueur

    Le scooter, véhicule idoine des centres-villes encombrés, est devenu, à l’occasion des crimes de Mohammed Merah, un élément tactique décisif, voire l’attribut symbolique du meurtrier. A mon avis, cette métamorphose de la place de l’engin dans nos représentations coïncide avec l’avènement d’un nouveau type de tueur. Qu’on ne fasse surtout pas d’amalgames, je n’insinue bien sûr aucunement que les usagers de scooters seraient tous des fanatiques islamistes et il n’y a pas lieu de les stigmatiser, le scooter étant un véhicule comme les autres, dont l’immatriculation prouve l’appartenance de plein droit à la communauté nationale. En outre, la majorité de ces deux-roues ne désire que circuler en paix sur des routes que leur carénage honore d’un supplément de diversité.

    Cela étant posé, on peut tout de même se permettre d’établir un lien – ne serait-ce qu’un lien – essentiellement formel, entre Mohammed Merah et Anders Breivik. À quelques mois d’intervalle, deux actes du même type ont produit en Europe le même impact médiatique, la même terreur, le même abasourdissement qu’entraîne la révélation d’une horreur inédite. On respire comme un reflux de 11 septembre… Et si la destruction du World Trade Center nous avait fait entrer dans le XXIème siècle et dans une décennie marquée par la succession d’attentats islamistes et de guerres « préventives » occidentales, on peut légitimement craindre que la décennie 2010 soit celle des « Loups solitaires », prolongation et mutation de la même guerre civile mondialisée, sous les auspices de cette nouvelle figure macabre.

    Le « Loup solitaire » tient du serial killer, ce grand archétype du siècle précédent. Mais le serial killer est un hédoniste anarchiste : il raffine sa jouissance sanglante qui ne renvoie qu’à elle-même. Le « Loup solitaire » se présente au contraire comme un guerrier se sacrifiant pour une cause qui le dépasse. Quoi qu’il en soit, tous deux choisissent des victimes dans un champ de hasard normé par une certaine grille de lecture symbolique. Tous deux préparent méticuleusement leurs crimes et tous deux entretiennent un jeu avec les médias qui est fondamental, voire structurel, pour leur action. Cependant, le Loup solitaire prétend perpétrer des actes de guerre – mais un guerrier qui tire sur des cibles désarmées, voire à bout portant sur des enfants en maternelle, ne mérite sûrement pas l’honneur associé à un tel vocable. Ce qui lui fait office de bravoure n’est rien de mieux qu’une profonde pulsion suicidaire. Et il ne s’agit sûrement pas d’un homme libre luttant pour un peuple ou des idées. On se trouve davantage en présence d’un pur symptôme morbide ; un symptôme qui catalyse et manifeste de manière soudaine, brutale, explosive, des courants sous-jacents.

    En somme, le Loup solitaire ne se bat pas pour une cause qui le dépasse, il se suicide en portant au grand jour une rage sous-jacente. Et celle-ci n’anime pas un parti officiel ou officieux constitué de manière classique, elle forme des nébuleuses sur la Toile, ce qui permet à ce type de tueur de recevoir une « formation » et un endoctrinement sans passer par des groupes identifiés et d’agir seul selon des modalités indétectables.

    Chaque époque, chaque société, engendre un monstre, dont la nature particulière nous renseigne souvent sur celles-là. Si l’Amérique fut féconde en serial killers, il est possible que le Loup solitaire soit plus spécifiquement un avorton de l’Europe. De l’Europe des marchés en pleine crise identitaire. Il y a en effet une certaine logique à ce qu’une société de névrosés castrés par le consumérisme et dont l’identité a été dissoute à l’acide de la haine de soi, produise en retour des psychopathes suicidaires shootés à la haine de l’autre, et dont l’acte de différenciation identitaire se résume à son expression la plus précaire et la plus radicale : se définir par l’altérité qu’on voue à la mort en se condamnant du même geste.

    Vous vous moquiez des héros défendant une patrie charnelle, vous aurez des malades massacrant des gosses au nom d’une identité confuse téléchargée sur le réseau Internet.

    Romaric Sangars (Causeur, 23 mars 2012)

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  • Happening partout, action nulle part !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romaric Sangars, cueilli sur Causeur et consacré aux formes parodiques de contestation que le système fait prospérer...

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    Happening partout, action nulle part

    Il existe de nombreuses manières d’agir sur le monde. La violence – que d’aucuns nommèrent l’ « action directe »- mais aussi tout un faisceau de possibilités plus subtiles qui se révèlent parfois d’une efficacité nettement supérieure. L’action sur les esprits et sur les cœurs, par exemple, n’est pertinente que si elle les dilate, les exhauce et les renforce.

    Aujourd’hui domine surtout une forme parodique de l’action liée à la pratique du « happening » : ce qui « arrive », se contente d’ « arriver » sans changer quoi que ce soit lorsque plus rien n’a lieu.

    Prenant le métro ce mois-ci, ce qui n’est guère dans mes habitudes, j’ai cru voir Paris délirer dans les affres d’une perpétuelle « Nuit blanche ». Station Porte de Montreuil, quelque incendiaire, à la grâce d’un cocktail Molotov, parvient à convaincre une bande de caricaturistes ringards qu’ils sont encore dans le camp de l’irrévérence, alors que leurs rôts de bourgeois 68 ne représentent que les mots d’ordre de la vulgate passés au Stabilo Boss.

    Station Châtelet, des catholiques « traditionalistes », qu’on aurait espérés moins perméables aux festivités ambiantes, se prennent au cirque moderne avec œufs et huile de vidange et réussissent l’exploit de faire passer pour subversif l’anti-christianisme « branché », ou suspecté tel1, d’une pièce qu’ils n’ont pas vue. Seule performance notable de leur happening : avoir fait applaudir les CRS venus les virer par un parterre de bobos frustrés de leur heure de transgression.

    Tous des « indignés », en somme. Faits pour perpétuer la farce. Tous vautrés dans le « happening » permanent. Voilà la réflexion que je me faisais, secoué par les zigzags abrupts de la rame que j’avais empruntée. Terminus La Défense. Claquement de portes, sirènes, couloirs. Puis, sur l’immense parterre glacial, nos « Indignés », copyrightés comme tels. Les paumes usées par le jonglage, les voix cassées d’avoir trop entonné les mêmes ritournelles débiles, ils s’autorisent une pause bien méritée pour reprendre leur souffle dans ce long marathon révolutionnaire : ceux qui le désirent, clame une organisatrice, pourront, après s’être tamponné un cœur sur la main, dispenser et recevoir de gros câlins roboratifs.

    Considérons et méditons la scène. Une jeunesse pas suffisamment pauvre pour prendre les armes, pas suffisamment éduquée pour élaborer des doctrines de combat ou des appareils critiques efficients, pas suffisamment mystique pour renoncer au monde qu’elle condamne et y tracer d’autres voies en déambulant vêtue de hardes, pas suffisamment imaginative pour proposer un autre spectacle que celui joué quarante ans plus tôt et à un niveau encore plus faible par les parents, une jeunesse sans aucune des forces de la jeunesse et avec toutes ses tares, s’effondre sur elle-même tout en se câlinant.

    Sous la grande arche blanche, bousculé par des cadres robotiques sans doute enjoints par leurs patrons d’adopter une quelconque « positive attitude » avant leur prochain séminaire de travail, non loin du ridicule pouce géant de César, j’observais simplement comment les rames les plus éloignées se rejoignent. Tous vautrés dans le « happening » permanent, tous configurés au Spectacle qui est la culture et les mœurs produites par la Marchandise. Qu’importe les couleurs ou les chiffres exhibés, les ennemis sont similaires et, à l’instar de la Finance qu’ils prétendent ou non combattre, multiplient de grandes bulles de vide qui explosent.

    Romaric Sangars (Causeur, 28 novembre 2011)

    1. En fait, « branché » depuis deux siècles sur le même canal
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